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09/05/2014

l'oeil & la plume : la croix du corbeau

140502 la croix du corbeau BradDowney - subway.jpg
texte de cathy garcia                                                                      photo ©brad downey

 

Les feuilles sous ses pas, crissent comme du verre. La croix du corbeau pèse lourd et un suaire de glace a figé toute sève. Le ciel est blanc jaunâtre, comme gros de neige. Les chênes fluets semblent bois mort. Tout en marchant, ses pensées ne cessent de revenir à lui. Elle l’avait laissé dans l’été d’un lit d’amour, brûlant de fièvre, enflé de désir, tout au bord de l’automne. Puis l’automne l’a consumé et elle ne sait plus où elle a jeté ses cendres. Maintenant elle marche et tout en elle n’est que silence et engelures. Lorsque le linceul de feuilles se perd sous le béton, elle peut encore entendre son crissement de verre. Elle marche dans une ville noire aux passants gris. Elle marche, laissant derrière elle des morceaux de mémoire que personne ne ramasse. Quand elle arrive devant le trou d’où s’échappe la chaleur souterraine, elle descend une à une les marches et disparaît dans un souffle de rame.

On ne la vit jamais ressortir, d’aucuns trous de la ville. Certains disent qu’elle a rejoint le peuple des rats, d’autres qu’elle est devenue reine d’un tripot dans une station désaffectée. On dit tant de choses et puis on ne dit plus rien.

Le printemps est revenu, les lits d’amour ont fleuri, des petits corbeaux sont nés. La mort est enterrée, pour un temps qu’on voudrait croire éternel.

 

 

03/05/2014

l’œil & la plume : cercle rouge

André Laude 05.jpg

 manuscrit de andré laude

 

 

Combien de taureaux cruels dans les faubourgs de l’amour.

Combien de taureaux dans les ruelles de l’errance

où je cherche Marie-Juana au visage d’enfance abîmé

par les matelots de Sydney, Vancouver et Brest-Recouvrance.

Combien de taureaux fous derrière mon front de rêveur.

Combien de vers dans la sombre tombe où repose mon ami.

Combien de clous enfoncés dans ce cercle rouge mon coeur.

Combien de prophètes et de sourciers au bout des déserts.

Je cherche Marie-Juana une femme sans âge,

elle est sorcière du monde des légendes des pays verts.

Elle est l’hostie sur mes lèvres

et la lampe à huile au fond de mes yeux.

Combien de taureaux aveugles et combien de feux

et combien de morts dans des guerres pour d’obscures îles.

 

10/04/2014

l'oeil & la plume : complainte des mendiants de la Casbah & de la petite Yasmina tuée par son père ( fragment IV )

casbah IVsépia.jpg
texte de ismaël ait djafer  1951                                                                                                      collage jlmi  2014
 

 

 

Le froid est silencieux

Le froid ne dis rien

Il tue simplement

Il tue les gens

De mort naturelle

Surtout le froid tue les pauvres gens, qui ont une paillasse

De carton pour dormir

Et du papier d'emballage

D'emballage

D'emballage

Pour se couvrir

 

Quand il a de bon matin,

Ce sacré courant d'air glacé

Qui glace la pierre et l'emballage et l'emballé

Et qui virevolte et batifole à travers

Les arcades de la Rue dela Lyre,

Charlemagne

Et qui saute à pieds-joints

Du dormeur mâle

Au dormeur femelle

Et du dormeur enfant

Au dormeur vieillard

Et du dormeur tuberculeux

Au dormeur B.C.G.

Et ainsi de suite

Pendant 500 mètres de carton et de

Papier d'emballage

Et pendant ainsi 127 arcades

Cadavérifiées

 

Avant de mourir la petite

Yasmina

Dormait déjà

Avec son petit papa

Qui l'a assassinée

Simplement

Brusquement

Avec ce geste paternel

Et pas du tout méchant

Du paysan laborieux

Consciencieux, qui sème la petite graine de

Neuf ans

Dans le sillon

Des pneus d'un gros camion qui passe

Et qui repasse

 

Lorsque l'enfant paraît...

Patati...

Et lorsque l'enfant disparaît

Patata...

 

Charlemagne,

Tu ne sais pas.

Combien, ça peut mettre

En colère

Ces tas de trucs qui font mal au coeur

Et dont tout le monde

Se fiche

Ces asiles pour courants d'air

Ces dortoirs pour souris

Ces chienschiens aux mémères

Et ces bisness in bisness

 

Je me demande, moi

A quoi ça sert

Les barrages qui barrent

Et les routes bien tracées

Et les camions qui écrasent les petites

Yasmina de neuf ans

En roulant entre les estomacs à l'air comprimé

Et les peaux en papier d'emballage.

J'étais là, quand le

Camion l'a écrasée

Et quand le sang a giclé

 

Le sang.

 

Et alors là, je ne raconte pas...

 

Je laisse aux gens qui ont déjà vu un camion

Ecraser un bonhomme et du sang

Gicler

Le privilège de se

Rappeler

 

L'horreur

 

Et le dégoût et puis la fuite lâche

Devant un cadavre

Surtout devant le cadavre d'une

Petite fille innocente

 

Et le privilège aussi

Pour les Chrétiens le Vendredi-Saint

Pour les Musulmans le Ramadhan

Pour les Juifd le Youm-Kippour

Pour les Athées les jours de cloches sonnant à toute

Volée dans la nef déserte d'un estomac affamé

Pour les Chinois les jours de pleine lune et de

Jiu-jitsu, hara-kiri.

 

De se rappeler leurs faims

Et d'en assaisonner

Ce cadavre de petite fille

 

(d'après, Editions Bouchène, Alger, 1987. N° d'édition 001/87. Dépôt légal 1er trimestre 1987. Re-publié  par le n°10 de la revue Albatroz, Paris, janvier 1994).

 

Source   http://albatroz.blog4ever.com/ismaal-aat-djafer-complaint...