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journal du 13 septembre 2001

"J’ai tant de choses à dire, à écrire, ça va trop vite dans ma tête et il y a une araignée dans ma chambre, au plafond. Ha, ha, ha ! C’est dur ça pour moi, je travaille sur moi, je me mets à l’écoute. Je me dis que moi je suis le peuple américain et elle peuple afghan. J’ai peur d’elle et elle a peur de moi. Je la trouve monstrueuse, elle aussi, mais moi si je veux, je peux l’écraser toute entière de coup de savate où la bomber même, pssssssssssssschit pssssssssssssschit, sans m’approcher de trop près… je me dis que l’araignée m’apprend bien des choses et voilà que je fais l’effort, ce petit effort, de penser autrement, de tenter de sentir autrement.

L’araignée a disparu, je ne l’ai pas regardé pendant un moment, occupée que je suis à écrire et elle en a profité pour disparaître, car bien qu’apprentie tolérante, je pensais surveiller tout de même ses moindres faits et mouvements. La paranoïa me reprend : où est-elle ? Elle va venir me piquer, elle va venir dans mon lit, le sacro-saint territoire lit, mais non ! Elle tisse, là, au dessus de la tringle à rideaux, elle travaille la fileuse de nuit. Elle est jeune, pas encore énooooooorme. Elle tisse donc…

Enfin, elle tissait, parce que là ça fait un petit moment que je ne la vois pas descendre et remonter derrière la tringle. Elle en a encore profité.

Ce n’est pas vrai ça ! Deuxième crayon qui meurt sur ce cahier, à peine né ! Je suis allée en chercher deux sans savoir où est passée l’araignée, sœur araignée… pas évident. J’écoute Jo Triban. « Souviens-toi quand tu meurs qu’un chaman naitra »… Que tous les chamans de la planète s’unissent pour la paix ! C’est vrai que ce mot revient souvent ces jours ci. Normal, je suis gavée d’images télévisées d’un monde en guerre. L’Amérique est en guerre, la guerre du 21e siècle… mais qu’est-ce qu’ils racontent ? C’est vrai que j’ai ricané au début, j’ai fait la maline, parce que… probablement parce que c’est trop énorme, probablement que cela dépasse mon entendement. Il est certain qu’il y a un avant et un après 11 septembre 2001. Ce que j’ai vu et entendu en trois, quatre jours m’a hallucinée, abasourdie. Un mélange d’incompréhension, de stupéfaction, de dégoût, tout ça avec un brin de fatalisme. C’est donc le moment d’être fou, fou d’amour, fou de vivre. Tout se mélange, ça va trop vite, ma vie, la vie, notre existence perdue au seuil du 21e siècle, celle de nous tous, êtres humains, européens, américains, afghans, chinois, tibétains, indiens, inuits, mongols, cambodgiens, africains, papous, maoris, aborigènes etc. etc. Des milliers de peuples humains, des milliards d’individus qui défendent ou abusent de leur droit de vivre, des individus exploités, des individus exploiteurs, des individus pourchassés, des individus pourchasseurs et le sang, le sang ! Pas blanc, pas noir, pas brun, pas jaune, pas mauve, pas bleu ! Du sang rouge, rouge, rouge et j’emmerde les communistes, bien que… J’emmerde surtout ceux qui s’approprient ce nom pour mieux le faire couler, ce rouge sang. Mais c’est la chose la plus simple, la plus évidente, nous partageons tous la même couleur de sang. A-t-on jamais pensé à se faire la guerre entre rhésus positifs et rhésus négatifs ? D’ailleurs, c’est curieux ça, ces histoires de A et B, de rhésus… mais je m’égare.

J’aime écrire ! C’est bon d’écrire. Tiens, j’avais oublié l’araignée, je ne sais toujours pas où elle est passée, peut-être dissoute dans l’éther après avoir délivré sa leçon, la leçon de l’araignée, mais je ne suis pas bien sûr de l’avoir vraiment intégrée. Elle est dure la leçon de l’araignée : transformer la peur en amour, ça passe par la tolérance, forcément. La tolérance est le chemin entre la peur et l’amour, de la tolérance naît l’amour, car c’est avant tout à soi-même que l’on accorde le droit de vivre et alors on cesse de vouloir à tout prix défendre, mériter, quémander, voire prendre de force, quelque chose qui nous a déjà été donné, dont nous n’avons que le devoir de jouir, de profiter pleinement, dans l’idée d’en faire profiter, peut-être jusqu’à la septième génération qui suivra, et pas seulement dans le cercle étroit de sa propre famille, sa propre tribu, sa propre nation… Peuple rouge, le regard tourné vers l’intérieur voit ce sang commun à tous les êtres, pas seulement humains mais les animaux aussi, les poissons, les insectes. Et puis il y a ce peuple vert, au sang transparent ou blanc comme lait, ce peuple vert qui nous fait la décence de ne pas hurler quand nous l’arrachons, l’abattons, le mangeons. Peuple qui s’offre en fleurs, en feuilles, en fruits et en racines. Juste prendre soin de la graine, respecter, remercier aussi peut-être, si c’est possible, si ça ne fait pas trop grimacer l’ego. L’ego qui étouffe un rire, paré de ses plus belles parures : peuple vert, quelle connerie ! L’arrogance, le prix de l’arrogance, c’est le titre d’un journal je crois au sujet de… mais, c’est ça ! Nous payons le prix de l’arrogance, et encore, moi je ne paye pas grand-chose. Je peux me permettre ce luxe d’écrire sur un cahier, bien installée sous la couette (et l’araignée, elle est où ?).

Je suis plusieurs. C’est vrai ! Et c’est sûrement vrai pour chacun d’entre nous. Je suis plusieurs et je crois être moi, mais moi c’est déjà un autre, parce qu’à partir du moment où je dis « moi », j’ai déjà nommé quelque chose, donc je l’ai séparé de…. moi, pardi ! Lumineux. Je suis plusieurs et peut-être un « je » supérieur (oh, l’horrible mot !) a-t-il en charge de rassembler, unifier, harmoniser ? Pas simple… Il n’y a qu’à voir comment ça marche à l’extérieur, c’est-à-dire quand les « je suis plusieurs » tentent le « nous sommes un »… Très intéressant en tout cas, mais j’ai un peu de mal à capter là, je ne saurais pas mieux dire. Il est tard, demain est une journée chargée. Cette araignée invisible m’inquiète… ce n’est pas facile d’évoluer !"


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