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02/04/2019

l'oeil & la plume... bouche pleine

spaghet mulm b&w.jpg
texte de murièle modély (2012)                   ill. jlmi  2019

 

 

tu es assise à table, à faire tourner entre ton pouce et ton index
une coupe remplie d'alcool, disons... du champagne
à laper, tu te reprends, à siroter quelques gorgées, entre deux rires et un regard

/

soudain tu te mets à tousser en postillons serrés, le rêve démesuré
tu bois une bière dans un bock, assise à la table écaillée
pendant que lui regarde dans l'autre pièce, un truc ou l'autre à la télé

/

tu tousses, mais ce n'est pas la bière ou la peur qu'il te voit
à cette heure déjà en train de picoler, qui te fait crachoter
la télé est à fond, il ne t'entend jamais

/

tu bois vite, tu manges vite, tu vis vite, faut faire passer tout ça
lui ou un autre, tu avales, tousses, t'étouffes
ton rêve comme une arête coincée en travers de la gorge

/

faut faire passer tout ça...
t'avais dit ça aussi quand elle avait pris l'aiguille à tricoter
t'avais dit ça tout pareil sans majuscule ni point d'exclamation
l'aiguille à tricoter en métal blanc

/

l'envie de tricoter t'est d'ailleurs passé d'un coup
quand ton regard se pose maintenant
sur la pelote dans le panier
c'est bizarre, tu penses à un crâne réduit en miettes
les fils de laine en boule, comme du tissu cérébral, emmêlés

/

de toute façon, le tricot c'était pour faire plaisir à ta mère
le genre de truc, penses-tu, qui plaît aux hommes, avec les turlutes
le rouge te monte aux joues, parce que ce mot tu ne le dis jamais, ta mère si

/

ton assiette est rouge, tu pensais que peut-être
la couleur passerait avec la mousse
tu as beau picoler, toujours le rouge  devant toi
les spaghettis figent dans la sauce grasse
il est neuf heures, tu n'as pas faim

/

l'assiette te donne des hauts le cœur, il ne dit rien
- il ne dit jamais rien
il n'a rien dit la veille, quand tu t'es soudain arrêtée de manger
quelque chose coincé dans l’œsophage
il a juste frappé la table très fort
du plat de la main

/

alors tu avais mis l'assiette au frigo, sans rien dire toi non plus
parce que c'est toujours pareil, tu ne peux t'empêcher de faire tout de travers
non contente de vivre aux crochets de la société, de ta mère, des hommes
tu ne peux t'empêcher de te faire remarquer

/

le ventre
la bouche pleine
l'aiguille à tricoter
tout ce que tu avales
tu le recraches

/

ce matin, tu as ressorti l'assiette
car tu ne peux pas passer ta vie à gaspiller
tout ce qu'on s'échine à te donner

/

ce matin, tu regardes l'assiette
au milieu de tes rêves qui hoquètent
tu avales des bières, l'estomac au bord
tout au bord des lèvres
en chipotant encore
les restes du repas d'hier

 

01/04/2019

l'oeil & la plume... descente dans l'Infini

 

jaurès 00.jpg
texte de jean jaurès     ill. jlmi  2019

 

 

Dans cette architecture étrange qu'on appelle la matière, nous avons beau descendre vers les fondements, nous ne trouvons point une assiette fixe : les pierres que l'on croyait fondamentales entrent en mouvement ; elles entrent en danse, et c'est sur des tourbillons subtils que repose jusqu'ici l'édifice solide du monde. Mais, descendons plus bas encore, et au-dessous même de l'atome ; l'atome, dit-on, est un tourbillon d'éther ; c'est donc l'éther qui va être la matière première, le substratum définitif de tous les mouvements ; soit, mais l'éther lui-même, dans son apparence d'immuable sérénité, est traversé de mouvements innombrables ; tous les rayonnements de lumière et de chaleur, tous les courants et tous les jets d'électricité et de magnétisme, tous les mouvements qui correspondent dans les corps aux phénomènes de la pesanteur et, dans les composés chimiques, aux phénomènes de l'affinité émeuvent   incessamment l'éther ; et appuyer le monde sur l'éther, c'est l'appuyer sur une mer de mouvements immenses et aux vagues toujours remuées. Il faut bien pourtant que les mouvements de l'univers soient les mouvements de quelque chose ; il faut bien qu'il y ait une réalité en mouvement, une substance du mouvement.

 

Je ne sais pas où il faut s'arrêter ; je ne sais pas s'il faut s'arrêter ou descendre encore.

 

 

 

 

 

31/03/2019

l'oeil & la plume... si tu viens

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texte de lucie delarue-mardus   ill. jlmi 2019*

 

 

 

Si tu viens, je prendrai tes lèvres dès la porte,

Nous irons sans parler dans l'ombre et les coussins,

Je t'y ferai tomber, longue comme une morte,

Et, passionnément, je chercherai tes seins.

 

A travers ton bouquet de corsage, ma bouche

Prendra leur pointe nue et rose entre deux fleurs,

Et t'écoutant gémir du baiser qui les touche,

Je te désirerai, jusqu'aux pleurs, jusqu'aux pleurs!

 

-Or, les lèvres au sein, je veux que ma main droite

Fasse vibrer ton corps -instrument sans défaut -

Que tout l'art de l'Amour inspiré de Sapho

Exalte cette chair sensible intime et moite.

 

Mais quand le difficile et terrible plaisir

Te cambrera, livrée, éperdûment ouverte,

Puissé-je retenir l'élan fou du désir

Qui crispera mes doigts contre col inerte!

 

in Nos amours secrètes   (1902-1905)

* base photos de ldm de 1905 coll. félix potin n°3 + the kiss de clarence h. white de 1904