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16/06/2014

l'oeil & la plume : sommet d'où jeter son pinceau ( fragment V )

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texte de werner lambersy                                                                                                     collage  jlmi  2014

 

 

Le fond de l’œil

N’est pas le fond de l’âme

 

Le fond de l’âme

N’est pas le fond des choses

 

Le fond des choses

C’est ce qu’on voit dehors

 

Dont le fond bleu

Ou l’azur sombre n’est pas

Le fond de l’univers

 

Mais un fond

Noir où l’œil ne sert à rien

 

 

12/06/2014

l'oeil & la plume : complainte des mendiants de la Casbah & de la petite Yasmina tuée par son père ( fragment XI )

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texte de ismaël ait djafer  1951                                                                      collage jlmi  2014

 

 

Cependant que

Tous les jours interminablement

Dans le silence

Entre quatre murs, une porte et trois barreaux

Sur une paillasse

Un tueur sale triste et muet

Dans l'ombre

Dort

Déjeune

Dort

Dîne

Et dort

Tous les jours interminablement

 

Mais le ventre plein, les enfants de Charlemagne

Chantent une chanson

Une chanson qu'on apprend à l'école

 

«Savez-vous planter les choux

A la mode, à la mode

Savez-vous planter les choux

A la mode de chez nous...»

 

Tous les jours interminablement

Jusqu'au matin du

30 Octobre 1951

Où les juges en robe

Se sont frotté les mains

Où les jurés se sont tapés

Sur les cuisses

Où les avocats

Bedonnants

En se trémoussant

Ont crié aux circonstances atténuantes

Où des publics rigolos ont fait des mouvements

Divers

Pour permettre

A un J.P. de chiens écrasés

D'écrire les âneries — qui suivent in extenso et

Bla-bla-bla :

«KHOUNI, ASSASSIN DE SA FILLE

EST SAUVE PAR LE MEDECIN PSYCHIATRE

La nouvelle session de la Cour d'Assises, s'est ouverte hier matin, sous la présidence de M. le Conseiller, assisté de M.. le Conseiller et de M. le Juge M. Au siège du ministère public, M. L'Avocat Général B.

Au banc des Accusés, Khouni Ahmed, un parricide [J.P. «infanticide» magistralement son poulet («Journal d'Alger», 30 octobre 1951)]. Véritable loque humaine, tassé, pâle et maigre, secoué de quintes de toux, cet assassin de 42 ans, en paraît 70 et provoque tout de même un peu pitié, surtout quand on apprend qu'au point de vue mental, il ne vaut guère mieux...

Jusqu'au 20 Octobre 1949, Khouni était mendiant. Sa fille, la petite Yasmina, âgée de 9 ans, l'aidait dans cette délicate occupation. Plus de femme, elle est partie et la police même, n'a pu la trouver. Plus de parents, plus personne.

La misère intégrale : le jour qu'il est arrêté, Khouni et sa fille n'ont mangé qu'un morceau de pain et possèdent une pièce de 5 francs. Et pour compléter ce tableau, il faut ajouter la constitution débile, la maladie pulmonaire et surtout la neurasthénie.

Ce jour-là donc, Khouni et Yasmina descendent la rue Franklin-Roosevelt. Il est 14 heures. Un lourd camion monte lentement et traînant une remorque. Khouni se penche tout à coup et pousse Yasmina. La petite fille roule entre le trottoir et les roues. Le père la saisit à nouveau aux aisselles, court après le camion et pousse encore la fillette sous les roues. Il la maintient même car la petite crie et veut s'échapper. Elle a le bassin atrocement délabré et meurt à l'hôpital quelques instants après, non sans avoir tout de même accusé nettement son père. D'ailleurs il y a cinq témoins, qui sont absolument formels et Khouni lui-même a reconnu tous ces faits en précisant qu'il voulait mettre un terme à cette misère qui les étreint tous les deux. Il ajoute même qu'il avait l'intention de se suicider et qu'il l'aurait fait si on n'était pas intervenu...

Dès qu'il a passé quelques jours en prison, Khouni revient d'ailleurs sur ses déclarations. Il nie, il n'a pas tué sa fille. C'est tout simplement un accident : «Comment peut-on concevoir, répète-t-il, à l'audience, qu'un père veuille tuer sa propre fille?»

L'assassinat cependant ne fait aucun doute, mais un rapport du docteur B., médecin psychiatre, explique cependant toutes les réactions du malheureux qu'il sauve du même coup.

Khouni est caractérisé par une débilité mentale qui le place d'emblée parmi les neurasthéniques et les mélancoliques graves et qui provoque souvent des crises démentielles. Sa responsabilité est très atténuée. Dès qu'il a été en prison et qu'il a eu un traitement matériel tout de même supérieur à celui qu'il avait eu en liberté, Khouni se reprend : il nie contre toute évidence. Réflexe de défense instinctive qui caractérise les neurasthéniques après la crise...

M. l'avocat général B. fait un réquisitoire très modéré et Me N. avec tact, intelligence et sensibilité, laisse parler les faits. Cela suffit aux jurés : ce dément est acquitté. Il ira prendre la place qui lui revient d'office à l'hôpital de Joinville. J.P.»

 

 

(d'après, Editions Bouchène, Alger, 1987. N° d'édition 001/87. Dépôt légal 1er trimestre 1987. Re-publié  par le n°10 de la revue Albatroz, Paris, janvier 1994).

 Source   http://albatroz.blog4ever.com/ismaal-aat-djafer-complaint...

 

 

06/06/2014

l'oeil & la plume : complainte des mendiants de la Casbah & de la petite Yasmina tuée par son père ( fragment X )

casbah ismail-ait-djaferneg VIII  RED+B&WPostrized.jpg
  texte de ismaël ait djafer  1951                                                                      collage jlmi  2014

 

 

Avec sa main et avec ma voix nous avons gratté

Le mur de cette grande muraille

Et nous y avons écrasé

Les poux

De notre corps et la crasse de notre peau

Et nous avons côtoyé tous nos frères qui mendiaient

Et nous avons frôlé leurs poux

dans

L'asile de Nuit du Marché Randon

Et dans l'asile des jours des rues du monde entier

Nous avons tendu les os durs

de la main dure

De la petite

Vieille aveugle

voilée

Qui vend des boîtes d'allumettes

Dans la voûte sombre

De la rue Porte-Neuve
Les os durs de la main du petit aveugle de la station de trolley

Du marché de la Lyre

Les os durs de la main du gros Smina aveugle qui chante

En battant sur une boîte d'allumettes

La cadence de toute sa graisse

Affamée
Les os durs de la main

Du type tordu

accroupi sur

Sa colonne vertébrale démantelée

Le long des murs froids des arcades de la Rue Bab Azoun

Les os de la main

Du Cul de jatte

Au derrière en caoutchouc

Rouge

De la Rue Bab-el-Oued

 

 

Et les os durs de la main

De tous les déchiqueteurs de conscience des rues

De ma bonne ville

D'Alger

Un par un

Deux par deux

Trois par trois

Tas par tas

Horde par horde

Main tendue

 

Assis

Couchés

Désespérés

Confiants

Blagueurs

Fous

Demi-fous

 

Pâles, noirs, hilares, tristes.

 

Sombres,

résignés.

 

Il faut les voir

Les jours de pluie et de froid

Rassemblés autour de la maigre chaleur du soupirail

Des Boulangers

Humant leur faim et la bonne odeur du pain qui cuit

De la farine qui se malaxe

Et du bois qui grésille...

Là qu'ils sont !... silencieux, les yeux ronds

La bouche ouverte

 

Sans voix

Sans colère

Sans pourquoi ?

Sans comment?

Sans crier «Holà ! c'est du scandale !»

Sans se lever

En état de légitime défense

Qu'ils sont devant l'agression du pain qui cuit...

...pour les autres

Pour ces autres qui n'en ont pas BESOIN...

 

(d'après, Editions Bouchène, Alger, 1987. N° d'édition 001/87. Dépôt légal 1er trimestre 1987. Re-publié  par le n°10 de la revue Albatroz, Paris, janvier 1994).

 

Source   http://albatroz.blog4ever.com/ismaal-aat-djafer-complaint...