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14/02/2017

l'oeil & la plume... pendant qu'autour de moi

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texte murièle modély                                                                                                                ill. jlmi  sans date

 

pendant qu'autour de moi
des gens avancent
des politiques tracent
des poètes percent
des familles pleurent
je fais
je refais
du surplace
j'écris
un peu de poésie
chosettes en ligne
en vertical
j'y mets des hommes
j'y mets des femmes
des maux de couples
j'écris
gratte au milieu
des caroncules
et sur l'écran
du sang
des larmes
la morve un peu
j'écris
sur la pupille
insiste
je ne vois rien
l’œil bande
mou
j'écris

10/02/2017

l'oeil & la plume... plus fort que le blizzard

plus fort que le blizzard.jpg

texte de Anna de Sandre                                                                                                                  ill.jlmi 2017



Au commencement,
J’ai mal pris
Les fatigues de Maman :
Quand je rentrais
De l’école,
Elle faisait toujours la sieste,
Mais Papa la regardait
Comme s’il voulait la dessiner.

Un jour, il y a eu de la gêne
Sur le visage de Papa,
Et j’ai dû céder ma chambre
Qu’il a repeinte
En une semaine,
Puis décorée en un week-end.

C’est qu’au printemps
Étaient tombées
D’incroyables giboulées –
Une bille de glace
S’était logée
Dans le ventre de Maman.

Elle est ronde
Et même énorme :
Dedans il y a
Un petit bonhomme
Qui attend le bon moment
Pour nous faire fondre
Et prendre ma place.

paru dans la revue Nouveaux Délits n°56

 

 

05/02/2017

l'oeil & la plume... à la soupe populaire

Margaret Bourke White, Soupe populaire à Louisville, 1937.jpg
texte de Lionel Mazari                                   photo Margaret Bourke White, Soupe populaire à Louisville, 1937

 

A la soupe populaire, je t'invite ; j'ai deux trois tickets dans la poche ; je sais : ce n'est pas trop le genre d'endroit pour les affaires. Les gens qui vont là-bas, ils font la gueule, et ne l'ouvrent pas en mangeant ; ce n'est pas de la politesse non, mais ils croient que c'est la honte qui les oblige ; alors ils ne disent pas qu'ils n'ont pas fait ci qu'ils n'ont pas fait ça ; et ça ne les rend pas trop gais non plus de voir toutes ces femmes et tous ces hommes qui leur ressemblent. A ruminer le prochain repas.

Ici chacun est un miroir brisé pour l'autre. Il y a des files d'attentes déçues dans les reflets des vitres sales où la détresse et la misère sont reproduites à l'infini ; et puis à l'intérieur, comme dans la longue et lente et lourde salle silencieuse des corps, la fatigue et la colère mettent les taches du vertige dans les yeux louches des solitaires accablés.

Cette nourriture qu'on y sert, vaches maigres et choux blancs, sans la faim, ils la laisseraient bien à de moins pauvres. Chacun mastique dans son coin, sans parole, le bras autour de l'assiette. Ici c'est pour un rab de dignité qu'on dissimule avec pudeur ses restes et ses miettes d'identité derrière un bras de déshonneur.

A l'asile de nuit aussi, tu pourras venir. Je te préviens, la douche est obligatoire. Et le couvre-feu à dix heures... Des fois qu'un feu brûlerait encore la chair de soufre des sans-papiers aux mille maux.

Et puis il faudra se lever avant l'heure car le grand lâcher des clochards se fait le matin à six heures qu'il fasse tôt qu'il fasse tard.

Il s'y rencontre parfois entre vieilles connaissances quelqu'un qu'on n'avait pas revu depuis longtemps. Et ça n'fait pas vraiment plaisir. Où était-il passé ? En prison ? Sur un chantier. Ou chez les dingues ? C'est là tout l'ailleurs qui peut écarteler un homme.

-Tiens, à propos as-tu remarqué que les femmes ici sont interdites?

L'un n'a pas eu de chance ; l'autre n'est pas mort non plus. Les mains rouillées qui leur servent de maillons ont le froid métallique des évasions manquées et la mollesse serpentine des chaînes. Peu sont entiers de l'âme et quelques uns ne le sont pas du corps.

- Un train m'est passé dessus sans crier "gare", dit l'amputé à un nouveau.

Mais pas un ne rigole, car le cynisme n'est rien d'autre qu'une des formes éveillées du cauchemar ; et puis surtout, il manque trop de dents à son humour et à la rage.

Dans la salle de détente après le repas, la télévision parle toute seule ou à quelqu'un qui n'est pas là. Un schizophrène, un peu timide dans sa folie, lui fait l'aveu en rougissant qu'on n'a vu personne aujourd'hui. Bientôt une nuit électrostatique tombera sur l'écran ; alors on pourra regarder dans son reflet en gris sombre la retraite des dos voûtés, leur débâcle vers les dortoirs et cette étroite nuit au large du sommeil en barque sur les larmes.
 
source : revue Nouveaux Délits n°55