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20/03/2018

l'oeil & la plume : dans le couloir des urgences

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texte de bruno toméra                                                                                                                                      ill. jlmi
 

Nous sommes assis au bord du vide

sur ces sièges vissés dans l'éternité

nos mains se tendent et interpellent le silence

nos mains se tendent et se déchirent à espérer.

L'on rejoue l'enfance

nos vies sur le jeu de l'oie

se poursuivent et se croisent

au hasard du coup de dé.

Se forcer à penser ceci pour conjurer cela

entre croire et l'abandon

il y a tant de déraisons

bien humaines.

Devant la crainte et le mystère

on influence que soi.

Être est ce trop de vérité.

Nous raidis dans ces habits

taillés par l'absence

transpirons des regrets

et quelques fous serments

que nous mélangeons à jamais imparfaits

dans de fausses conjugaisons.

 

19/03/2018

l'oeil & la plume... une improbable rédemption

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texte de denise desautels                                                                                                    marina abramovic photo x 
 

Une improbable rédemption

une branche s’est abattue sur une autre

 

la fin nous passera sous les yeux

même si vêtue de trop de rose

et faisant semblant de rien

 

on savait que ça viendrait 

malgré l’épaisseur des vitres 

on avait été prévenus 

secoués, secoués

par une accumulation d’armes et d’hécatombes

 

les incendiaires une fois de plus

se préparent à survivre 

on les suit, on les prends par l’épaule 

quelques décennies 

quelques ennemis de plus

 

c’est généreux dans les villes

ça attend la souffrance

 

imaginons l’autoportrait

un rideau qu’on tire, translucide

pour atténuer - oh à peine

nos fraudes

de famille, d’état

nos petits assassinats aussi

machinalement

en croix, massés

sous une graine où il fait chaud   

 

en attendant, on fabrique du néant doux

 

un peu d’anthracite ou de blanc, s’il vous plaît

autour d’une improbable rédemption

 

à la fin, on n’a plus peur

on les regarde de près

l’enfant endormi et

plusieurs étoiles malades accolées à la terre

 

sans bien comprendre pourquoi

absolument nécessaire

la souffrance flambe dans un fouillis de bras

 

nous avançons, manière Marina Abramovic

le corps tout charbon, penché 

son squelette posé sur son dos, son double 

grandeur nature 

fragile armature d’os 

châle d’été, on dirait 

 

c’est beaucoup de bruit ce vent de tombeau qui vous pique la tête

ses effarements de survivante

une fois pour toutes

beaucoup de bruit

nos paumes qui chutent

devenus si étroites

leur tourment projeté claquant

contre un mince mur de mots

 

on se risque pourtant à l’invraisemblable

entre l’angle et l’arc des côtes, au fond

de la cage

 

on dépose pureté

 

un jour

- simple hypothèse bien sûr

éprouver la bonté du feu qui sauve

 

18/03/2018

l'oeil & la plume... Rues

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texte & illustration par le salut invérifiable d'un idiot souterrain
 

 

 

nous veillons sur la sécheresse

car l’ancien monde s’en est allé

 

 

        Un homme gras croit assumer quelques perversités qui ne sont pas les siennes. Visiblement son costume coûteux le protège. Les automobiles sont aux aguets. Chaque morale permet toutes les logiques de concurrence, luttes mortes & meneurs, l’inconséquence des artistes & les hommages intéressés. L’ombre boiteuse de la haine, le désarroi des maîtres, une longue attente, défilé des pénitences & des humiliations, l’impuissance des massacres : il faut fuir & sourire. Le soupçon est notre seule confiance. Les conventions ont le poids d’un vêtement, souvenir des ruines, douleur des saccages, de ces gestes que personne ne peut retenir, mais ni l’électricité ni les incendies n’éclairent les nuits. Les sagesses manquent de circonstance. Postures vitrifiées, aigreurs promises, lourdeurs inévitables : ici les élégances ténues n’ont pas l’avantage. Humour des chenils ! Les machines piétinent les limites humaines, les étoiles se déploient & se noient, sans assignation, également indifférentes à nos conquêtes & à nos plénitudes, à nos morts & aux maladies de nos esprits.

 

[…]

 

Les haines communes ne peuvent produire que des tristesses communes. Abstractions concrètes des idéologies, des croyances, ces lueurs dérisoires pour des puérilités abreuvées de craintes : qui les assume produit de tristes effets. Les chiens ne sont-ils jamais fatigués ? L’excès donne le vertige, ses obscurités sont-elles la promesse d’une autre clarté ?

 

[…]

 

Nervosisme irritabilité prescriptions, meurtre sur ordonnance : les mois passent sur ces états péremptoires & d’autres angoisses. Façades de verre, doctrines, la brise printanière de la réforme, & les bibliothèques sont convenues. Politesse de chaque désolation, sirènes incompréhensibles, mécanique des faces, les émeutes lointaines sont romantiques, usure multiple. Casernes, blouses, néons, chaque catastrophe est commentée. Soleils de chimie, chiens de la miséricorde, les sourires de triomphe sont exsangues : chaque choix s’impose.

 

[…]

 

Les modernités trépassent. L’actuel jauge tout, c’est l’antiseptique de la confusion. Douceurs de l’enlisement, les ciels parcourus : il n’y a pas de lointains dans les villes rectilignes. Quelque chose glisse & se faufile le long des nuits, l’étonnement se gorge de terreurs, au fond des chambres emplies de musique amplifiée, lueurs blanches & frissons, profils courbés sous le poids des nuques, & les intensités écarquillées. C’est un miracle troublant, pourtant, une ville qu’un fleuve partage.

 

[…]

 

Pauvretés rutilantes des lieux où il faudrait travailler, relégation jusque dans les maisons, cages ! Seuls quelques incidents rares & étonnants ont la saveur d’un éveil, creuset d’autres lumières futures. Cœur froid, l’esprit brûlant, lambeaux de peau craquelée, les sobriétés d’ici ne sont que des rigueurs maladives. Le sommeil est cassé, nos mondes sont fuyants, quelques miettes de vin sur les lèvres sont le seul programme. La danse ne défait-elle pas les peuples ? Mais les horreurs nous traversent à la lumière des lames, pour la seule évidence d’une mystique singulière : le brouillard électrique qui aiguise. La nuit n’est plus que ce visage piétiné, la métaphysique des litres.

 

[…]

 

S’efforcer de noter des sensations, malgré l’heure des complications, ne plus confondre le noir qui s’étale & le ridicule qui est réel : chacun est pour l’autre une évidence sans perfection. Cette morsure épuise. Le grondement des foules est exclusif, les rues sont insidieuses & sans entailles. Ce printemps est pâle, & les chiens sont obèses.

 

[…]

 

Les rues se vouent à des terreurs nouvelles. La rencontre est manquée. Chaque lieu ici a le goût de ce qu’il faut quitter, d’une concession perpétuelle. Il doit y avoir une méthode de fracturer ces têtes ! Car leurs pitiés ne semblent être que des dispositions hasardeuses, rien n’est vrai que les horreurs premières. Le spectacle est automatique & la nuit n’est pas étoilée. Les idolâtres sont étranges, tout est collant ou trop lisse, impressions osseuses, & malgré les médiocrités elles sont pleines d’une sauvagerie étonnante. Ventres ! Le goût perdu des figures ! Quels gestes pourraient démonter le jour des automates ? L’horreur est urbaine, le vide est un vertige, la méthode double est unique. Le noir arbitre.

 

[…]

 

La broussaille des esprits heurte plusieurs rigidités. Leur simplicité est belle. La chair est bardée du chant, jeunesse & initiation doivent passer, convenir sans plaire. Il y faut le courage commun. Chaque rue produit un vocabulaire, des angles & ses postures d’os, chaque désastre & ses divisions produit un enseignement. Les savoirs inculqués d’autres jeunesses moins sinistrées ne produisent que des certitudes.

 

[…]

 

La maison commune n’est plus rien. Les tranchants de l’individualisme commun sont sans bienveillance. Il n’y a plus vraiment d’ordre, mais des transgressions qui s’acclimatent. Aucun verrou n’est permanent, rien n’est permanent, & d’autres singularités plus farouches sont pour l’instant sans orgueil. Les visions de manganèse ne sont pas la prémisse à ce qui croupit dans les écoles & les musées : le grand oblique de l’abdomen !

 

[…]

 

Le fatras des certitudes ne rend pas l’ennui moins poisseux. Le dégoût est puissant. Leurs cervelles moites ! Les ventres croupis ! Des ombres glissent & elles sont fourbes, les haines ne peuvent être qu’intrusives, promiscuités & tribunaux. La pluie est étouffante. Paix de caserne, partout rôde la grimace qui permet les massacres. Aucun siècle qui puisse apporter une satisfaction. Ces rues grouillantes s’hérissent de crocs, garrottent les corps innocents, paix des révoltes, & la curiosité qui reste est pour le salut : les poisons !

 

[…]

 

Cette conjonction est une chance ambiguë, mais la conversation est presque morte. Les rues sont dures. Joyaux d’asphalte des nuits de verre pilé, métal bouilli, nerfs emportés ! Il n’y a pas d’autre manière de dissoudre les blocs de l’ennui. Paix armée. Béton & ciment sec, brûlure des anecdotes, partout l’accueil est minéral. Partout les hommes vont par deux, mais le fleuve semble ignoré. Les destructions rêvées ne laissent pas de trace ; panneaux gras & itinéraires certifiés, ici l’ornière sèche, ailleurs l’impudence des images. Climats des violences ou des mensonges bien nés, le bonheur marchand : ces rues ne mènent pas plus loin. Les débauches sont désamorcées.

 

[…]

 

Ambiances sans mélange où sont déversées ces évidences : le consensus des égalités décrétées, la sévérité des logiques marchandes, les médiocrités sans pitié, les satisfactions féroces ! Quelle parole pourrait brûler sans se consumer ? Les rues rousses ! Les cerveaux sucrés contre les nuits de givre !

 

[…]

 

Les rues n’ont pas d’orientations hasardeuses. C’est un décor de croûte durcie où les vies s’essorent. Il y a quelques folklores climatisés. Elles ne connaissent rien des fatigues & du repos nécessaire. Aspérités sans effluves, paroles rares & industrielles, & ce qui reste est pour le dressage des yeux. Quelques enfants sont alignés pour on se sait quel départ, mais les allures d’innocence ne reviendront pas. Hygiène policée, dureté sans finesse de néons, abondance de tous les besoins insinués qui ne furent jamais des désirs, chaque automate trouvera ici de quoi tenir son rôle & son rang.

 

[…]

 

Le fleuve ! Quelle est la nuit définitive qui ne laisse rien derrière elle ? Quel est le point où l’on ne revient plus sur ses pas ? Nous sommes l’écume d’une vague très belle, au soleil, sur une plage de novembre. L’équilibre est une entaille. Les époques ne s’éclairent qu’à peine les unes les autres, & les climats sont incomparables. Les étrangetés illégitimes préservent des familiarités exécrables. Il faudrait que certaines fureurs s’éloignent, il faudrait que la banalité soit un refuge, mais cela ne sera pas. La houle des villes que les vents ne marquent pas. Comment vivre ? Comment chevaucher les époques & les désastres, conquérir les rues ? La menace ! Les meutes ! Le vide & ses superbes ! Le frisson de l’intuition ! Mais partout les tribunaux se dressent, la fourberie n’est pas plus verte qu’autre chose. Lui sera toujours un enfant triste, étonné de se voir abandonné après tant de méchancetés si sincères. & la mort nous dépliera vers un envers qui n’est pas & ne nous concerne en rien. Un futur qu’on saccage est encore une certitude, malgré tout, & cette étrangeté illégitime ne peut rien revendiquer. Ce sera toujours l’exil au pays de l’éveil, & le millier d’années des oiseaux.