27/05/2018
l'oeil & la plume ... j'aime la vie
Petite blonde, elle était bien mignonne
cette psychologue, vingt cinq ans à tout casser.
Elle critiquait mon personnage et mon manque
de volonté au cours de cet entretien organisé par
l’ANPE pour un stage de reconversion vers je ne
sais quel hypothétique débouché à l’emploi, emploi
mot magique et purificateur ergoté par tous les
Merlins, enchanteurs des basses classes comme si
crever de quotidien et d’humiliations dans des
emplois sordides pouvaient remplir les fissures de
cette satanée vie. Oui, elle était bien mignonne,
j’admirais cette bouche magnifique, ces dents faites
pour croquer toutes les pommes du diables, ces
lèvres veloutées comme un coulis de framboise.
C’était pitié que d’une telle bouche puisse sortir un
chapelet de conneries si conventionnelles et
entendues. Dans ce théâtre à huis clos chacun tenait
son rôle, moi le paumé à intégrer dans une autre
misère et elle pourfendeuse de feignants et d’assistés
de toutes sortes. Elle m’incendiait de sottises
libérales : prise en charge de soi-même, se forger
une âme de gagnant, je me voyais bien conquérir le
monde en bleu de travail au SMIC sans trop ouvrir
mon clapet à revendications.
Je somnolais aux sons de ces Blablas en
fantasmant sur cette divine bouche. Avait-elle entre
midi et deux après un Mac Donald dégoulinant,
retrouvé un jeune homme carriériste, un vainqueur
comme elle, qui savait lui apporter les satisfactions
d’une vie pleine de promesses, le confort, l’argent
sauveur ; un jeune homme sûr de lui en habit
d’esbroufe genre trois pièces pour épater les cons,
qui pouvait marcher sur la tronche de ses collègues
en toute bonne conscience et écouter tinter les
cloches de l’ambition le revolver dans une main et
un portable dans l’autre, héros imberbe d’un clip
publicitaire pour after shave putride.
Ils avaient bien dû se palucher comme
deux loups Madelinistes affamés en s’arrachant des
couinements d’aise ces deux décalcomanies de
l’époque virtuelle et lézardée, des bécots bien salés,
bien baveux, les mains au panier, dans la culotte
DIM aux merveilleuses teintes acidulées... Merde,
alors... elle lui a peut-être tété le gland à ce
bienheureux, la bouche en O, les doigts qui
couraient sur les burnes et peut-être qu’à l’heure où
elle me saoulait de fadaises économiques, les
spermatozoïdes cavalaient encore dans sa bouche,
s’incrustaient dans la moindre carie de ses molaires,
organisaient un gymkhana, jouaient au toboggan
dans le fond de sa gorge pour crever stupides dans
les sucs digestifs de son estomac, tous cons de
louper l’ovule, un rendez-vous pour rien.
Bernique.
J’en jouissait jusqu’à l’écœurement,
plus moyen de me retenir, je larguais ma purée dans
mon froc et dégueulais les petits blancs acides du
matin sur son bureau, dans mon dossier.
J’étais vert, elle aussi.
- Mais... Mais vous êtes ignoble, igno...
Foutez le camp, dehors, je vous annule,
salaud...
C’était râpé pour ma future entrée dans
le monde besogneux, ce monde n’avait pas besoin de
moi, c’était conclu. Un peu foireux, j’économisais
sur la branlette du soir, la vie est positive, parfois.
Encore quelques années à ramer dans le rien...
Vivement la retraite
00:54 Publié dans l'oeil & la plume | Lien permanent | Commentaires (1)
26/05/2018
l'oeil & la plume... j'habite ici gare de Lyon
J’habite ici gare de Lyon au sous-sol
il dit tu me retrouves quand tu reviens
et sous la cendre des néons soudain
le jour s’achève avant le jour
tes yeux m’ont arrêté il dit
meurt une flamme dans sa pupille
et le crépuscule soudain se noie
dans le verre vide de sa bouteille
comme moi tu parles plusieurs langues
il dit tu voyages beaucoup
supplice du voyageur immobile
et l’aube soudain meurt avant l’aube
je suis né à Jérusalem… il sourit
je suis né au Maroc, Salah, SDF
tu me trouves ici quand tu reviens
et la nuit soudain s’achève avant la nuit
trente-deux ans que je vis à Paris
il dit loin des prières de la mère
ténèbres des départs avortés
mer et désert chavirent dans sa mémoire
toi aussi tu viens d’ailleurs il dit
et les pierres gémissent d’absence
la terre s’arrête de tourner
jadis oui j’eus aussi un pays
on voit à tes yeux que tu aimes ta vie
il dit… rien qu’un sourire solitaire
comme talisman pour l’âme
il reste sept portes à franchir
passé les sept portes et les mille et une épreuves
peut-être seront nous délivrés
( si cela peut avoir un sens )
du sud de la folie de la folie du sud
in la Douleur des Seuils coll Clepsydre, éditions de la Différence
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25/05/2018
l'oeil & la plume... Woolworth, 1954
Je ne sais comment ni pourquoi
ça m’est revenu. Mais je me suis mis à y penser
juste après que Robert ait appelé
me disant qu’il arrivait dans quelques minutes
pour qu’on aille aux palourdes.
C’était mon premier boulot et je travaillais
sous les ordres d’un dénommé Sal.
Cinquante et quelques années, et
simple magasinier comme moi.
Parti de rien il était
arrivé à pas grand-chose. Mais content
d’avoir un boulot, comme moi.
Il connaissait les rayons du magasin
comme sa poche et il voulait bien
m’apprendre. J’avais seize ans, je travaillais
pour des clopinettes mais j’étais heureux
comme ça. Sal m’a transmis
son savoir. Il était patient
mais faut dire aussi, je pigeais vite.
Mon plus grand souvenir
de cette période : quand on ouvrait
les cartons de lingerie féminine.
Les culottes et autres petits machins
moulants. Quand on les sortait du carton
par poignées. Déjà à l’époque,
il s’en dégageait quelque chose
de magnifique et de
mystérieux. Sal appelait ça
« Les dessou-ous », « les dessou-ous ? »
Je le croyais sur parole. Alors pendant un temps
moi aussi j’ai appelé ça : « Les dessou-ous. »
Puis j’ai vieilli. Je n’étais plus
magasinier. Et j’ai commencé à prononcer
correctement ce mot français.
Je savais de quoi je parlais !
J’avais commencé à sortir avec des filles
dans l’espoir de faire descendre leurs petites culottes,
de toucher ce tendre petit morceau de soie.
Et quelques fois ça marchait. Seigneur, oui,
elles me laissaient faire. Et leurs culottes
elles étaient vraiment dessou-ous.
Tout en dessous, collées à la peau blanche,
et elles glissaient lentement le long du ventre,
les long des hanches et des fesses,
et des superbes cuisses, glissaient un peu
plus rapidement à hauteur des genoux
puis des mollets ! Atteignaient les chevilles
réunies pour cette occasion. Et tombaient enfin
sur le plancher de la voiture où
on les oubliait. Jusqu’au moment où
il fallait les chercher à tâtons.
« Les dessou-ous »
Ces adorables filles !
« Le chat s’est caché là-dessous. »
Robert et ses gosses et moi
là sur la plage
avec les seaux et les pelles.
Les gosses ne mangent pas de palourdes.
Il n’arrêtent pas de faire des « Beurk »
ou des « bouah » en voyant les coquillages
dans la pelle pleine de sable,
avant qu’on les jette dans le seau.
Et moi qui ne cesse de penser à Yakima.
Aux sous-vêtements soyeux,
aux dessous qu’elles portaient en dessous
Jeanne et Rita, Muriel, Sue et sa sœur,
Cora Mae. Toutes ces filles.
Des grandes personnes maintenant. Ou pire.
Disons-le : des mortes.
in là où les eaux se mêlent ed l'incertain 1993
00:50 Publié dans l'oeil & la plume | Lien permanent | Commentaires (0)