25/05/2018
l'oeil & la plume... Woolworth, 1954
Je ne sais comment ni pourquoi
ça m’est revenu. Mais je me suis mis à y penser
juste après que Robert ait appelé
me disant qu’il arrivait dans quelques minutes
pour qu’on aille aux palourdes.
C’était mon premier boulot et je travaillais
sous les ordres d’un dénommé Sal.
Cinquante et quelques années, et
simple magasinier comme moi.
Parti de rien il était
arrivé à pas grand-chose. Mais content
d’avoir un boulot, comme moi.
Il connaissait les rayons du magasin
comme sa poche et il voulait bien
m’apprendre. J’avais seize ans, je travaillais
pour des clopinettes mais j’étais heureux
comme ça. Sal m’a transmis
son savoir. Il était patient
mais faut dire aussi, je pigeais vite.
Mon plus grand souvenir
de cette période : quand on ouvrait
les cartons de lingerie féminine.
Les culottes et autres petits machins
moulants. Quand on les sortait du carton
par poignées. Déjà à l’époque,
il s’en dégageait quelque chose
de magnifique et de
mystérieux. Sal appelait ça
« Les dessou-ous », « les dessou-ous ? »
Je le croyais sur parole. Alors pendant un temps
moi aussi j’ai appelé ça : « Les dessou-ous. »
Puis j’ai vieilli. Je n’étais plus
magasinier. Et j’ai commencé à prononcer
correctement ce mot français.
Je savais de quoi je parlais !
J’avais commencé à sortir avec des filles
dans l’espoir de faire descendre leurs petites culottes,
de toucher ce tendre petit morceau de soie.
Et quelques fois ça marchait. Seigneur, oui,
elles me laissaient faire. Et leurs culottes
elles étaient vraiment dessou-ous.
Tout en dessous, collées à la peau blanche,
et elles glissaient lentement le long du ventre,
les long des hanches et des fesses,
et des superbes cuisses, glissaient un peu
plus rapidement à hauteur des genoux
puis des mollets ! Atteignaient les chevilles
réunies pour cette occasion. Et tombaient enfin
sur le plancher de la voiture où
on les oubliait. Jusqu’au moment où
il fallait les chercher à tâtons.
« Les dessou-ous »
Ces adorables filles !
« Le chat s’est caché là-dessous. »
Robert et ses gosses et moi
là sur la plage
avec les seaux et les pelles.
Les gosses ne mangent pas de palourdes.
Il n’arrêtent pas de faire des « Beurk »
ou des « bouah » en voyant les coquillages
dans la pelle pleine de sable,
avant qu’on les jette dans le seau.
Et moi qui ne cesse de penser à Yakima.
Aux sous-vêtements soyeux,
aux dessous qu’elles portaient en dessous
Jeanne et Rita, Muriel, Sue et sa sœur,
Cora Mae. Toutes ces filles.
Des grandes personnes maintenant. Ou pire.
Disons-le : des mortes.
in là où les eaux se mêlent ed l'incertain 1993
00:50 Publié dans l'oeil & la plume | Lien permanent | Commentaires (0)
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