14/05/2014
l'oeil & la plume : complainte des mendiants de la Casbah & de la petite Yasmina tuée par son père ( fragment V )
Pour conserver dans ma mémoire
Et ma colère et mon dégoût
Le cadavre
De la petite Yasmina
Mais le ventre plein et les pieds dans un chausson
Les enfants de Charlemagne chantent une
Chanson
Une chanson qu'on apprend à l'école
Il court, il court le furet
Le furet des bois, mesdames
etc.
Il ne faut pas m'en vouloir
Charlemagne
Mais c'est trop injuste
A la fin
Que des gens crèvent
Et que d'autres rigolent
Qu'au bal des pompiers, ce soit toujours les mêmes
Qui s'empiffrent au buffet
Tu n'as rien vu
Charlemagne
Avec tes bons et tes mauvais élèves et tes truands et tes
Gueux, et tes tire-laine et tes coupe-jarrets
Paillards et pendards
A la sauce Villon
Tu n'as rien vu
Et c'est pour cela que tu n'es pas en colère comme moi
Ah! Si je pouvais t'emmener
Main dans la main
A travers les cavernes, les asiles, les rues pourries, les
Misères, les bidonvilles accrochés entre deux cimetières
Les rues de la Lyre, les Pêcheries
Les crève-la-faim, les crève-le-froid, les mères de famille
Nombreuse prix cognac, mendiant avec des moutards
Plein les bras et les pieds
Et les vieillards qui gigotent entre leurs barbes et les
Dockers qui couchent à leur mauvaise étoile et les
Malades qui agonisent sous les porches et les tas de
Pauvres types couchant l'un sur l'autre au-dessus d'un
Soupirail de boulanger pour se réchauffer et humer
L'air du pain frais et les gourbis de feuilles mortes
Qu'on ramasse à la pelle, à travers aussi les pierres
Et les lézards et les gargotes et les pauvretés et les
Dénuements
Main dans la main
Tout simplement
Comme deux types anonymes
D'une foule plus anonyme encore
Cherchant un peu de bon-dieu
Dans la bourse
De ceux qui se réclament de la déclaration
Des droits de l'homme
De la femme, de l'enfant et du vieillard
Et de l'orphelin
Et de la petite Yasmina KHOUNI.
Un peuple de mendiants
Voilà ce que c'est
Charlemagne
C'est pour cela que j'ai beaucoup de peine
(d'après, Editions Bouchène, Alger, 1987. N° d'édition 001/87. Dépôt légal 1er trimestre 1987. Re-publié par le n°10 de la revue Albatroz, Paris, janvier 1994).
Source http://albatroz.blog4ever.com/ismaal-aat-djafer-complaint...
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12/05/2014
l’oreille & la plume : Bernard Lavilliers
C´est une ville que je connais
Une chanson que je chantais.
Y a du sang sur le trottoir
C´est sa voix, poussière brûlée
C´est ses ongles sur le blindé.
Ils l´ont battu à mort, il a froid, il a peur.
De n´importe quel pays, de n´importe quelle couleur.
Po Na Ba Mboka Nionso Pe Na Pikolo Nionso
Il vivait avec des mots
Qu´on passait sous le manteau
Qui brillaient comme des couteaux.
Il jouait d´la dérision
Comme d´une arme de précision.
Il est sur le ciment, mais ses chansons maudites
On les connaît par cœur,
La musique a parfois des accords majeurs
Qui font rire les enfants mais pas les dictateurs.
De n´importe quel pays, de n´importe quelle couleur.
La musique est un cri qui vient de l´intérieur.
Ça dépend des latitudes
Ça dépend d´ton attitude
C´est cent ans de solitude.
Y a du sang sur mon piano
Y a des bottes sur mon tempo.
Au-dessous du volcan, je l´entends, je l´entends
J´entends battre son cœur.
La musique parfois a des accords mineurs
Qui font grincer les dents du grand libérateur.
De n´importe quel pays, de n´importe quelle couleur.
La musique est un cri qui vient de l´intérieur.
C´est une ville que je connais
Une chanson que je chantais
Une chanson qui nous ressemble.
C´est la voix de Mendela
Le tempo docteur Fela
Ecoute chanter la foule
Avec les mots qui roulent et font battre son cœur.
De n´importe quel pays, de n´importe quelle couleur.
La musique est un cri qui vient de l´intérieur
Po Na Ba Mboka Nionso... Pe Na Pikolo Nionso
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09/05/2014
l'oeil & la plume : la croix du corbeau
Les feuilles sous ses pas, crissent comme du verre. La croix du corbeau pèse lourd et un suaire de glace a figé toute sève. Le ciel est blanc jaunâtre, comme gros de neige. Les chênes fluets semblent bois mort. Tout en marchant, ses pensées ne cessent de revenir à lui. Elle l’avait laissé dans l’été d’un lit d’amour, brûlant de fièvre, enflé de désir, tout au bord de l’automne. Puis l’automne l’a consumé et elle ne sait plus où elle a jeté ses cendres. Maintenant elle marche et tout en elle n’est que silence et engelures. Lorsque le linceul de feuilles se perd sous le béton, elle peut encore entendre son crissement de verre. Elle marche dans une ville noire aux passants gris. Elle marche, laissant derrière elle des morceaux de mémoire que personne ne ramasse. Quand elle arrive devant le trou d’où s’échappe la chaleur souterraine, elle descend une à une les marches et disparaît dans un souffle de rame.
On ne la vit jamais ressortir, d’aucuns trous de la ville. Certains disent qu’elle a rejoint le peuple des rats, d’autres qu’elle est devenue reine d’un tripot dans une station désaffectée. On dit tant de choses et puis on ne dit plus rien.
Le printemps est revenu, les lits d’amour ont fleuri, des petits corbeaux sont nés. La mort est enterrée, pour un temps qu’on voudrait croire éternel.
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