28/01/2013
l'oeil & la plume : encre de Chine
04:54 Publié dans l'oeil & la plume | Lien permanent | Commentaires (2)
27/01/2013
l’oeil & la plume : après bien des répétitions
texte de murièle modély montage photo jlmi 2013
Elle a bien répété
le rire de gorge
le bout de langue
le regard frais
Elle a bien répété
Elle est de passage, assise jambes croisées, dos arqué, sur le canapé. Elle boit une bière.
Elle porte un tee-shirt à paillettes, on voit sa chair. Elle a de gros seins, un piercing, petit strass en forme d’étoile.
J’ai du mal à croire qu’elle a vingt ans : elle en paraît encore seize. A cause sans doute de sa bouche charnue, ourlée comme celle d’un poupon de cellulose.
Je la regarde.
Elle tient son fils sur ses genoux, un gamin de dix mois qui ne lui ressemble pas.
Elle me raconte.
Sa vie. La journée à chercher un boulot, le soir un père pour son gosse. Elle rit, rectifie. Faut pas croire, elle cherche aussi le grand amour... enfin l’amour, car même s’il est petit, elle le prendra. En attendant elle est ouverte à ce qui vient, la maison, la bagnole, le type dedans.
A chaque fin de phrase, elle glousse en haussant les épaules. Un drôle de tic qui lui reste de nos années d’enfance. Lorsque je faisais la maîtresse à la voix docte, lorsqu’elle faisait semblant d’être l’élève. Je m’agaçais, elle poussait des cris de souris, en secouant la tête.
Je la regarde. Il ne m’est pas facile de faire coïncider, la gosse impertinente aux cheveux bouclés avec cette jeune femme.
Je juge, j’ai toujours fait ça. Elle prête le flanc, elle a toujours fait ça.
Elle me raconte la province, les soirées du samedi soir, où une fille comme elle, normalement, n’est jamais invitée. Pas assez classe, pas assez smart. Elle glousse encore. A cause de la bagnole.
Elle est avec des filles brunes ou blondes, ou elle est seule. A la table d’hommes mûrs ou presque. Je fais un geste, elle se redresse. Trente, quarante ans quoi, et je fais pas la pute.
L’enfant glisse entre ses jambes. Il joue avec la capsule de la bouteille qui a roulé sous la table.
Elle cherche juste à vivre des choses intéressantes.
Mieux. Plus.
Une fois, on lui a même présenté un juge. Mais il était vieux, et il sentait mauvais. Elle rigole, un juge de pets.
Dans ce genre de soirées, elle croise surtout des docteurs, des généralistes, ou des fonctionnaires. Elle me rappelle que papa la voyait mariée à un avocat. Elle me fait un clin d’oeil, qui sait tout est encore possible. Faut juste être là, au bon moment, sur le bon tabouret, dans le bon club. Elle explique. Elle a bien répété. Le rire, la danse, l’écoute. Important l’écoute, quand on n’a rien a dire.
Quand elle ne sait pas, elle rit. Ou elle boit. Faire sonner le cristal, c’est ça qui compte. Les pampilles dans la gorge, ou le verre. Faut que ça vibre.
Elle rit, me presse la main, me remercie de garder son gamin. Je sens son odeur de petit lait mélangé à du fauve. Elle sait que ce soir, ici, quelque chose va arriver. Elle n’a pas peur. Ses joues sont rouges. Je regarde son plaisir ruisseler par vagues dans mon appartement, sur mon canapé, sur mon peignoir usé et l’incompréhensible envie.
elle a bien répété
le rire de gorge
les dents de perles
la langue coquine
le gloss
le fond de teint
l’oeil mutin
elle a bien répété
elle sera seule
ils seront cinq
ou vingt
les babines
luisantes
les membres
puissants
ils seront cinq ou vingt
au dîner de
con
ils arracheront sa robe
ils lacèreront sa peau
ils déchireront ses seins
ils mâcheront ses reins
ils creuseront sa moëlle
au bout de la nuit
sur le tapis
un minuscule tas
d’os
ils en mettront deux
à tinter dans un verre
pour boire leur cointreau
05:08 Publié dans l'oeil & la plume | Lien permanent | Commentaires (2)
22/01/2013
hommage à Henry Bauchau
par werner lambersy
Henry Bauchau 1913-2012
Ou la fascination devant la violence et la révélation du féminin
On me demande…Je veux bien, mais je n’ai compétence que pour la vérité du cœur ; pas pour toutes les autres qui sont affaires de spécialistes !
Pour avoir eu le privilège, pendant plus de 20 ans, une fois par mois, de partager avec Henry Bauchau et Laure leur déjeuner du Passage de la bonne Graine ( gratin d’endives, nous disions chicons), je ne peux que témoigner, et chacun sait ce que témoin veut dire, depuis « spectateur » jusqu’à « choses enfouies sous une élévation laissée intacte lors de l’invention d’un chantier »…
Pour comprendre, il faut situer ce qui était devenu un rituel immuable. A table, on parlait avec légèreté des œuvres en cours (pour lui comme pour moi, au moins quatre versions du même manuscrit), de l’art et de ses « grandes manœuvres » ; puis, à pied, nous nous rendions au jardin des Plantes pour saluer « le prunus divin » où Henry priait en me rappelant » qu’il n’avait besoin ni de religion ni d’un dieu pour faire confiance aux forces de la vie ». A l’aller, nous avions discuté politique ; le retour se faisait dans le silence de l’amitié, qu’il pleuve, vente, ou fasse plein soleil dans la lumière si particulière de Paris.
Je lis surtout de la poésie, c’est donc à travers « Géologie » et « La Chine intérieure » que je rencontre Bauchau ; quand plus tard, j’aborderai ses romans, il devint évident que ses poèmes, à chaque étape en constituaient le colonne vertébrale, le filigrane constant. « J’ai besoin de l’ombre du poème (souvent pour lui son inconscient, ses rêves) pour atteindre aux lumières successives du manuscrit ». Relisez ce que désormais le monde entier connaît de sa prose et vous verrez se dégager de l’ensemble ce chant discret, mais inoubliable, où l’auteur, presqu’impersonnel, confie sa révélation du rôle fondateur du poème, du jeu fraternel, universel de son mystère, et le défi, tranquille mais lucide, aux mensonges du Temps. C’est en poète avant tout que Bauchau veut célébrer la louange à ce qui est « à travers les ténèbres du beau, un chemin vers la vérité » (J. Bousquet) C’est en poète avant tout que Bauchau voulait qu’on se souvienne de lui.
Lorsqu’il parlait du « peuple du désastre » (le premier titre de L’Enfant bleu !) il ne voulait pas seulement parler de ces êtres en difficulté dont il s’occupait mais aussi de la difficulté, pour nous, simplement d’être et d’exister !
Bauchau n’a jamais pu guérir des deux guerres traversées ; l’une en 14-18, qui marquera sa prime enfance et son adolescence par son absurdité, sa loi du plus fort, sa brutalité aveugle et l’écroulement d’un monde (jusqu’à l’affrontement sourd avec l’aîné et la grande bourgeoise dont il est issu) ; l’autre, celle de 40-45, par son acharnement méthodique, sa violence bestiale et l’écroulement de toute notion d’humanité.
Toute cette horreur, y compris celle de la Shoa dont il parlera peu mais qui ne quittera jamais le fil conducteur, la trame qui sous-tend son œuvre, sera la toile de fond de sa réflexion, la plaie restée ouverte qu’il ne nommera jamais explicitement, alors qu’elles serviront d’exorcisme à sa fascination devant la violence, l’arbitraire et le pouvoir…Les destins aussi mais ne sommes-nous pas maître de les refuser tant que la mort nous appartient ?
Il s’occupera des forces obscures, du chaos primitif de ce cortex qui veut reconnaissance, domination et soumission !
De Gengis Khan à Mao, d’Œdipe-Antigone à Diotime, jusqu’à L’enfant bleu, Boulevard périphérique ou Déluge, il s’appliquera à en montrer les mécanismes, à en démonter les articulations perverses, à en révéler les arcanes et d’en faire ressortir l’abominable fresque, tout en marchant, à pas de funambule, sur la corde mince de ce que l’amour peut sauver. Il s’agira rarement de sexe stricto sensu, et pourtant ce grand séducteur manipulera beaucoup d’émois, de désirs et même de sacrifices consentis, mais jamais sans rappeler cette histoire : un dieu nous a donné la lettre, un démon, les mots ; tout le reste nous appartient, y compris entres les lignes du rêve et de l’inconscient…
Il appellera à la rescousse toutes les grandes figures du mythe et de l’histoire, puis celles, emblématiques, de notre quotidien, pour démasquer, dénoncer ces tentatives de nous détruire au profit des plus forts et sur le dos des plus faibles ! Il n’oubliera jamais : pour que peu aient beaucoup, il faut que beaucoup aient peu, et c’est contre cette injustice qu’il ne cessera de se battre avec les armes de son intelligence et la secrète colère que soulèvent ses écrits. » il n’est besoin ni de croire ni d’espérer mais d’être libre (Kazantzakis).
Il utilisera pour cela et de façon privilégiée, le seul contrepoids possible à cette entreprise de décervelage contemporain ( on veut le leurre et l’argent du leurre) à cette main mise mondiale sur l’esprit critique : les femmes !
Il dira leur viscérale insoumission à la mort, leur vision neuve d’un monde où elles peuvent enfin prendre la parole, faire taire l’instinct du rapace, le mugissement du buffle au front bas, autant que les bêlements du mouton.
Il reste cependant, dans ce survol superficiel, à remarquer combien Bauchau a su se défaire de l’encombrant soupçon d’être déchiré entre les deux langues nationales et leurs stériles débats d’intérêts ; rien, dans cet homme arrivé tard à l’écriture sereine et non indifférente, de ces soubresauts folkloriques dont certains font leurs fonds de commerce littéraire.
Mais d’autres déchirures, plus profondes, plus porteuses, dépassées par une sagesse plus apaisée, et des valeurs plus généreuses comme la parole donnée (au propre comme au figuré) et l’amitié au-delà des remous existentiels du séculaire ! Ce n’est pas sans émotion que je veux terminer cet article du vivant en me remémorant la rencontre, après 50 ans, de deux amis de jeunesse (l’école primaire de Saint-Josse) Paul Nothomb et lui, atteints des mêmes symptômes qui les caractériseront secrètement :jamais ils ne pourront se résigner à renier leur serment d’officier et la responsabilité humaine qu’un destin d’exigence veut conduire. Cela peut faire sourire mais quelque chose du besoin de beauté, ni donné ni acquis, mais courant librement entre les lignes de l’action et de l’écriture s’incarne ici comme l’idée du bonheur dont Saint Just disait qu’en Europe c’était une idée neuve…
cet hommage est repris à l'occasion des
Lectures autour de Henry Bauchau
22 janvier 2013 Palais des Académies. Bruxelles.
Académie royale de langue et de littérature française de Belgique
04:55 Publié dans hommage à | Lien permanent | Commentaires (2)