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31/03/2018

l'oeil & la plume... l'étonnante histoire de Skunkdog

Anton Corbijn     Patti Smith     2010.png
texte de patti smith                                                                                         photo ©Anton Corbijn   2010

 

 

Ne soyez pas surpris si la mort vient de l'intérieur...

Sept jours & six nuits le héros veilla sans pitié.
horizontalement sous le ciel. sans manger sans boire sans aimer.
après quoi en avait-il ? que cherchait-il ?
un signe ? une réponse ? une issue ? Quelque chose de neuf...

Maintenant au septième soir du septième jour le héros
ne tenait plus qu'à un fil. le manque de sommeil, de vivres
& de bras amoureux prenait sa revanche. il cessa de
regarder le ciel.

Mon beau héros. lui dont l'ardente volonté était de garder les yeux
ouverts dans l'instant échoua.
Parce que le héros avait mis à vif les nerfs du ciel. ses regards perçants
l'avaient excité. quand enfin il baissa les yeux les étoiles
étaient devenues cinglées. cassiopée se balançait comme un berceau

Un observateur de hasard incapable de dormir, rêvant à une
fenêtre, comptant les moutons, n'en aurait pas cru
ses yeux. la voie lactée se trémoussa se trémoussa. un troupeau
d'étoiles filantes. des comètes folles. et 1'étoi1e du grand-chien
pareille à une lune nouvelle-née.
mais le héros ne vit rien.

Comprenez : le ciel quand on le surveille est comme une marmite sur le feu. à
la minute-même où le héros tourna les yeux les cieux débordèrent.
météorites & planètes passèrent au-dessus de lui comme des chauves-souris.
qu'aurait-il pu dire ? il n'était pas en forme. Sa langue devenait ivre &
je ne parle pas de sa vue.
ses yeux ne voyaient rien double.

Tout était-il perdu ? jamais de la vie. c'était moche. mais considérez
le problème sous cet angle : le héros avait enfin les pieds sur terre.

Soudain (comme dans un film monumental) se déclencha
une suite d'événements qui pénétrèrent son être intime ; son âme
profonde. faisant éclater ses structures. criant ho-hisse à son
expérience formelle :

sept fourmis rouges mordirent sa main gauche
six pierres tendres roulèrent sur sa langue
ses cinq doigts s'étendirent sur un octave
quatre plumes jaunes surgirent de nulle-part
ainsi que-trois oiseaux bleus
au-dessus de sa tête (halo) firent cercle deux papillons-lunes
il avait faim alors il happa comme un iguane
il avala les deux papillons
son estomac frémit
il s'engourdit. le trou noir.
le sommeil le terrassa
(une minute seulement
mais cela lui sembla dés heures)
& il rêva :

espérons qu'il n'est pas en danger

Il arrive sur la frayère de certains
animaux sacrés. il a peur d'être obligé de
copuler avec l'un d'eux. les danseurs indigènes l'encerclent
puis le cernent. ils le déshabillent. son costume
d'Adam a changé d'étoffe. il a une nouvelle coupe
féminine. on le purifie. on enduit son corps
d'essence de sang de taureau. on lui demande de choisir
un animal.

Un chat tigré se frotte à sa jambe. Un chat gris & or
aux grands yeux bleus. des yeux si bleus que l'eau en vient
à la bouche du héros. Une vache à la peau lisse aux pis laqués de rouge
(très chinois) s'étire & se roule dans un tas
de bleuets. fleurs bleues. plus bleues que
les yeux du chat.

Le héros s'interroge sur ses yeux. Dans cette atmosphère
est-ce qu'ils paraissent aussi plus bleus qu'ils ne sont?
zut pas de miroir en vue. est-ce que l'effet aura
disparu quand il rentrera ? il espère que non.

Sur sa gauche les collines vertes si vertes. un vert
froid de menthe. il regarde au loin & sursaute.
il voit Skunkdog.

C'est un terrible mâtin au long pelage luisant. poils noirs.
sa verge au contraire de ces chiens qui ont un
chibre rouge & visqueux est d'un blanc pur. le héros palpite là en bas
comme une femme & ne peut réfréner un geste obscène.

Skunkdog écarquille les yeux. 2 formidables soucoupes bleues.
les yeux les plus bleus qu'on puisse imaginer. plus bleus que les bluets,
plus bleus que la méditerranée.

Le héros est vaincu. Impudique. il se détourne puis regarde encore.
oh non ! Skunkdog est parti. le héros court vers les
vertes collines. Il est nu & les enfants rient.
il s'en moque. il déracine les arbres les plantes & les
rochers. il s'arrache les cheveux. partout
d'étranges animaux s'accouplent. la température monte. des femmes
mangent de la baleine. d'autres femmes exhibent leurs
ventres.

Dans un ravin il tombe sur Skunkdog. on l'a écorché.
il voit sa carcasse encore chaude. le héros tombe prostré
il va se désoler quand de nulle part lui tombe
la peau de son amour abattu.
il l'enfile.
elle lui va comme un gant.
il n'est plus héros.
il n'est plus héros.
mais Skunkdog
poils noirs yeux bleus.

doggod dog / god doggod
yeux bleus yeux / dieu dieu bleu

le chien s'envole dans la lune.

 

Traduction Henry Meyer

Ce poème a été publié dans Starscrewer n°11 Spécial Punk (1979)
Voir le fac similé original : première page, deuxième page, troisième page.
Entendre Patti Smith lire Skunkdog en 1971 (piste n°12) sur le site Ubuweb.

Source Lucien Suel http://academie23.blogspot.fr/search/label/Traduction?m=0

 

30/03/2018

l'oeil & la plume... petites dernières volontés

jean-claude pirotte  petites dernières volontés  chardon zinc 03sepiacontrast.jpg
texte de jean-claude pirotte 1987                                                             collage  jlmi 2014
 

 

 

ni fleurs ni couronnes

la fosse commune

 

ah non pas la peine

de mettre la gomme

un mort de troisième

ou quatrième zone

 

au front pas d’épines

laissez les chardons

crucifier les ruines

que je me débine

 

sans fleurs ni couronnes

ni discours ni rien

mise en terre intime

au petit matin

 

un coup de bibine

sur le zinc voisin

 

In la vallée de Misère    ed au temps qu’il fait   1987

 

29/03/2018

l'oeil & la plume... la foire aux pères

pères2Bpostconstrast.jpg
texte de ronelda kamfer  courtesy la biennale des poètes                                                              collage jlmi  2013
 

 

Des pères, j’en connais des tas

Des qui bossent pas

des qui traînent dans la cour

des qui sont en taule à Polsmoor

des qui pioncent dans les caniveaux

des qui dorment le jour et travaillent la nuit

Des pères, j’en connais des tas

des qui détestent leurs enfants

des qui aiment un peu trop leurs filles

des qui battent leur femme

des qui délirent sans leur pinard

des qui n’ouvrent presque jamais la bouche

Des pères, j’en connais des tas

sauf celui que

je n’ai jamais vu