15/02/2018
l'oeil & la plume... trois par trois
J’ai raté le train qui roulait entre les arbres. Les arbres roulaient sous les nuages, sur le toit bleu des wagons de nuit qui allaient trois par trois. La locomotive crachait mon ennui, car la nuit me nuit, et aussi des nuages bleu nuit, trois par trois. La vapeur cachait parfois la lune qui ne montrait qu’un quartier, qu’une partie pas partie. La lune montrait l’une, parfois l’autre. Elle n’était pas entière, elle n’était qu’en tiers.
Elle brûlait l’infinité des rails à toute vapeur. Les rails rattrapaient ma solitude et je m’y rejoignais.
Les vitres me regardaient et comptaient les vaches trois par trois. Ma solitude gagnait à me perdre et je perdais mon temps autant que mes printemps. Trois par trois, mes doigts tapotaient sur l’interdiction de se pencher dehors, d’abord en français, puis en anglais et en italien. Je me penchais sur les pas qui traînaient derrière moi et je n’avançais pas. J’attendais en français puis en anglais et en italien l’instant qui ne venait pas.
La gare était invisible, la salle des pas perdus se remplissait de mes doutes feutrés, l’horloge faisait des tic tac, trois par trois puis se taisait. Tic tac trois fois et je me regardais et tombais dans mon ombre. Un deux trois, soleil ! Le soleil luit, lui, quand moi je sombre, sombre. Les rayons dénombrent mes avatars. Il est trop tard.
J’ai raté le train qui ne m’attendait pas, alors ma solitude en a pris un autre. Les passagers étaient dans ma tête et ma tête voyageait. J’étais assise devant mes doutes, je les comptais trois par trois et ça ne faisait jamais cent. Alors, sans attendre son tour, mon sang faisait trois tours. Je doutais un peu plus, je faisais le dos rond et mes comptes étaient ronds. Le contrôleur passait devant moi et ne me voyait pas. Le cliquetis de la poinçonneuse me rappelait le parfum des lilas qui s’engouffrait dans des p’tits trous, toujours des p’tits trous.
Le train où je n’étais pas était vide de toute solitude et plein de brouhaha. Il crachait sa vapeur au museau des vaches qui broutaient trois par trois et giflait la lune parfois, je ne sais pas pourquoi. Je ne sais pas pourquoi ce train là ne voulait pas de moi. Alors, je chemine, ma solitude accrochée aux rails, en français puis en anglais et en italien, trois p’tits tours et puis s’en va, dans un tortillard qui n’existe que pour moi.
J’ai raté le train qui roulait entre les arbres. Les arbres roulaient sur les nuages, sur le toit bleu des wagons de nuit qui allaient trois par trois, sans moi, sans toi. Emoi...
''Le train qui entre en gare ne prend plus de voyageurs.
Je répète : Le train qui entre en gare ne prend plus de voyageurs'' ...
00:25 Publié dans l'oeil & la plume | Lien permanent | Commentaires (2)
14/02/2018
l'oeil & la plume... des gouttelettes de vie dans ma main pleine de morve
Je marche à ses cotés
Elle tient contre son cœur
Contre sa blouse tachée de terre
Une lettre chiffonnée
On dirait un clown avec ses pompes de sécurité
Elle pleure ça lui fait un nez en compote
C’est tout mélangé
Elle pleure, elle ne sait plus qui elle est
Elle ne veut plus savoir qui elle est
Elle trébuche sur elle-même
Elle s’effondre sur son ombre
Elle s’abat contre mon ombre
On se regarde dans ce miroir inversé
Et puis les mots l’apaisent
Et puis les mots la grandissent
Et puis les mots la soulèvent
Elle a le visage badigeonné
On a pas de mouchoir
Je prends la lettre de licenciement
Et lui essuie le nez et lui dis
"Mouche toi et crache là-dedans
C’est tout ce que ça vaut."
00:39 Publié dans l'oeil & la plume | Lien permanent | Commentaires (0)
13/02/2018
l'oeil & la plume... la plus drôle des créatures
Comme le scorpion, mon frère,
tu es comme le scorpion
dans une nuit d’épouvante.
Comme le moineau, mon frère,
tu es comme le moineau
dans ses menues inquiétudes.
Comme la moule, mon frère,
tu es comme la moule
enfermée et tranquille.
Tu es terrible, mon frère,
comme la bouche d’un volcan éteint.
Et tu n’es pas un, hélas, tu n’es pas cinq,
tu es des millions.
Tu es comme le mouton, mon frère,
quand le bourreau habillé de ta peau,
quand le bourreau lève son bâton
tu te hâtes de rentrer dans le troupeau
et tu vas à l’abattoir en courant, presque fier.
Tu es la plus drôle des créatures, en somme,
plus drôle que le poisson
qui vit dans la mer sans savoir la mer.
Et s’il y a tant de misère sur Terre
c’est grâce à toi, mon frère,
Si nous sommes affamés, épuisés,
si nous sommes écorchés jusqu’au sang
pressés comme la grappe pour donner notre vin,
irai-je jusqu’à dire que c’est de ta faute ? Non,
Mais tu y es pour beaucoup, mon frère.
in C’est un dur métier que l’exil,
adaptation française Charles Dobzynski, Le Temps des Cerises, 1999
00:49 Publié dans l'oeil & la plume | Lien permanent | Commentaires (0)