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17/12/2017

l'oeil & la plume... avant les premiers frimas

 

Intermède estival avant d’immanquables jours d’hiver

 

 

 

Frank Natalie 2007 Manda.jpg

texte de bruno toméra                                                              ill. d'après Natalie Frank

 

 

 

Nue, elle ne portait qu’un chapeau de paille

sur ses longs cheveux bruns,

elle écrivait à mon goût de mauvais poèmes de guéridon

derrière une astronomique baie vitrée

face au chemin communal,

à 49 ans elle était belle, le temps s’essoufflait à la rattraper.

Tous les hommes défilaient devant la très confortable masure,

des rabougris claudicants, des gamins rigolards,

des vieux schnocks aux mégots asphyxiés,

des coureurs de fond du dimanche au ralenti,

de romantiques ados émoustillés et graves,

de jeunes péquenots sur leur rutilant tracteur à cent millions,

un vrai boulevard.

Quand elle me prenait la tête

avec ses interrogations insipides & nostalgiques

du genre ‘’Pourquoi ce monde est-il si injuste ?’’

‘’ Mon existence a-t-elle un sens ?’’ ‘’Patati & patata ?...’’

je fonçais droit au bistrot du village

valider mon loto et me reteinter aux rouges limés.

Les sourires entendus des habitués du zinc

semblaient me dire qu’ils en savaient plus que moi

sur mon intimité et c’était peut-être vrai.

Bourré, je rentrais écouter ses dernières créations poétiques

sur le comment indigné du cela et le pourquoi vengeur du ceci, c’était pleurnichant.

Englué à la guimauve,

j’avais beau lui rabâcher qu’il n’y avait pas de réponse

dans le bric & le broc du monde,

tout au mieux on pouvait enjoliver une question

et si c’était toujours une question

ça prenait l’apparence d’une réponse dans la tête des crédules, l’esbroufe faisait tourner la vie depuis des lustres,

Darwin avait mis le doigt dessus

et dieu en était retourné jouer le représentant de commerce

dans un univers parallèle.

Elle me regardait fâchée  & vexée,

je la prenais dans mes bras

et n’avait que l’effort de lui ôter son chapeau de paille.

Elle écrivait à mon goût de mauvais poèmes

mais elle baisait comme seule une poétesse sait le faire.

 

 

 

16/12/2017

le ciseau & la plume... à fleur de peau

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nina bouraoui                                                                                   ill. jlmi 2012

 

 

Je suis la peau buvard

 

sculpture poétique de jlmi sur Mes mauvaises pensées
de Nina Bouraoui 

 

 

Il faut de l’imagination pour vivre. Je reconnais mille visages en un, ce sont des couches que j’arrache une par une pour me venger de moi. Cette vengeance consiste à détruire mon affection, à détruire ma faculté à aimer, à exister.

Une image floue de moi à côté de moi.

 

J’ai parfois le sentiment étrange de perdre la tête, d’avoir une fissure au cerveau

C’est la peur qui dévore le cerveau, c’est la peur qui dévore le corps, c’est la peur qui brise les liens.

Je n’ai pas peur du noir, je n’ai pas peur de la mort, je n’ai pas peur du vide, ce vide qui se creuse à l’intérieur de soi.

J’ai peur des autres. J’ai peur de ma violence qui reste sous ma peau. Seule la beauté brouille cette peur, la beauté se pose sur la peur comme un voile.

Je n’ai aucun désir du monde.

Il y a un vertige de la solitude, il y a un vertige du corps.

Mon cœur est plus fort que la terre, mon corps est plus fort que le ciel, mon cœur porte mon corps.

Je ne me retiens jamais.

 

Il n’y a aucune limite dans mon temps, c’est une forme de liberté. Je suis là en tant que moi-même, je ne suis d’aucune guerre, je ne suis d’aucune rançon.

Je sais nier la douleur, je sais nier le chagrin, je sais nier… la peau buvard qui fera écrire… qui fera rougir aussi.

Je suis la peau buvard de ce monde.

Les larmes ne lavent d’aucun chagrin. Les larmes entrent dans ma peau buvard.

C’est par mon silence que rien ne change.

 

Est-ce que l’écriture est une arme ?

Des antennes collées au papier, il y a de cela dans l’écriture qui serait alors fixer la vie. Ecrire ce que je vois est ma façon d’habiter l’existence, c’est ma façon de fermer ma peau. Les livres sont aussi des secrets révélés dans la nuit des mots.

Il y a un sentiment de pouvoir dans l’écriture qui avance, c’est une façon de marquer le temps. L’écriture est l’écriture du mouvement de la vie.

 

Est-ce que la mort n’est pas comme une invasion ?

On descend le cercueil dans le trou, c’est lent, c’est sourd, c’est le bruit de la mort, puis le bruit de la terre par poignées.

La vie lentement se pose sur l’idée de mort.

La mort devient un petit point noir parmi les milliers de points de feu qui constituent le soleil.

 

 

 

15/12/2017

l'oeil & la plume... prédilection

 

PRÉDILECTION

par le Salut invérifiable d'un Idiot souterrain

 

lrq02.jpg

 

''L'ordre et la connexion des idées est le même que l'ordre et la connexion des choses.''  

Spinoza l'Éthique Livre II (1677)

 

 

la présentation virtuelle proposée  ici d'un extrait de ce texte
tente de rendre l'impression 3-D ressenti à la lecture de ce codex* 
véritable ''porte aux dix mille serrures'' **
 
au cours de ce périple vous atterrirez problablement sur un autre site.
Bon voyage...

 

 

Ce ne fut pas un divertissement. Les villes mouraient. Il n’était plus possible de fuir & malaisé de se rendre insaisissables : comment s’écarquiller, & à quoi bon ? L’ancien monde s’en était allé, avec son héritage. Aux abords disponibles, dormant peu & n’attendant pas de délivrance, espérant vaguement savoir à qui profitaient les crimes : où perdre tous ces gestes, & de qui se venger ? Ces bêtes étaient-elles si singulières qu’aucune manière de vivre ne leur convienne tout à fait ? Quels mots fallait-il étreindre ? Mais chaque vie est invérifiable – quelques ténuités pleines de prodiges, les vents sans égards. Il faut donc chanter sans rien vouloir prouver – fenêtres & recueillements, La Terre partout vivante.

 Quelque chose s’éveille alors aux confins des moments de jachère, & le désir est sans époque. & quand l’immense vague de lumière se retire, déposant des satisfactions & quelques attentes, l’étreinte immédiate est plus exaltante que la permanence illusoire d’un été. Le grand vent calme exulte & gémit, & bien sûr l’élan de perdition des ponts, les lieux de perdition penchés, le drôle d’élan des ponts, le drôle d’élan des grues & l’eau organisée partout, les ombres changées par la nuit, l’effort indispensable & impitoyable, une frénésie sèche, sévère, les nuits de caillou, & les férocités qu’il faut connaître : ce n’est pas égal. Un mouvement est accompli sans changement, un changement est accompli sans mouvement, & cela ne dit rien. La nuit est épaisse & liquide, odeurs & distances intimes & mêlées, ferveur sans futur & sans histoire, ces étendues profondes jamais verticales, & aucun feu n’est approximatif. Puis les oiseaux pétrissent le matin, dans la délicatesse des bonnes distances que rien ne décrète. Nous sommes d’étranges bêtes, & nous passerons aussi, parmi les peuples qui s’assemblent & les migrations énormes. Cette béatitude en vaut bien d’autres. Malgré tout il faut trouver un lieu où connaître la vie sans contour : quelle est cette prédilection ? Une parole qu’une onde effleure, car Elle est le pilier autour duquel danser, s’ébattre & s’effacer, & ce juste souci qui bondit pour éviter. Il me dispense d’être utile.

 

 

* ce codex a été imprimé au mois d'août 2011 au 103, à Grenobleà 107 exemplairesà l'instigation d'Emma Chaos

 ** ce terme "dix mille" vient de l'expression chinoise utilisée pour signifier une quantité quasi infini