14/03/2017
l'oeil & la plume... les lèvres de ma mère
texte de murièle modély ill. jlmi 2017 sur cliché de Lukas Ptacek pod ochranou 2011
Maman m'a souvent mis son sexe en plein visage. Je n'ai aucun tabou, je parle beaucoup du sexe de maman. Mais à force de le dire, le redire, le mot sexe finit dans ma bouche aussi inoffensif et fade que le mot table ou le mot chien.
J'ai pensé chien, ce n'est pas par hasard. Je dis aussi parfois, ma mère est une chienne. Cela ne choque personne, mes amis ont l'habitude, cela les amuse. Ils ont une propension assez banale, à rire dès qu'on parle de cul... Dans les soirées, je fais encore mon petit effet, même si au fil du temps, cela marche de moins en moins : le vulgaire devient lassant à force, et si on réfléchit bien, je ne dis rien de drôle.
Car lorsque j'évoque mon visage entre les lèvres de ma mère, ce n'est pas pour faire de l'esprit, pas non plus par goût de la provocation. Je suis dans ces moments-là absolument, totalement sincère.
Aussi loin que je me souvienne, le sexe de maman a toujours occupé ma vie.
Lorsque j'étais petite, nous allions manger chez mes tantes le dimanche. C'était la belle époque pour ma mère, ça buvait sec, ça fumait tout autant. Entre le café et le digeo, maman racontait immanquablement à ses sœurs captivées, comment ma grosse tête oblongue avait déchiré son con. Elle disait ça en me couvant d'un regard plein d'amour, le genre de regard glaireux qui poisse et vous cloue. Je restais silencieuse. J'écoutais pour la énième fois le long passage, revivais le glissement interminable dans son vagin. Les tantes s'enivraient de paroles, elles n'avaient pas d'enfant.
J'imaginais leur bassin tout sec s'agiter la nuit, je les imaginais se remémorer, filet de salive sur oreiller mou, les lèvres rouges de maman se déformant sous l'articulation du mot sexe. Le mot. J'aimais le répéter, le tordre. Ma mère m'a donné ça aussi. Avec l'obsession de son corps, le jouir des mots. Mon enfance a été bercée du récit maintes fois réinventé de l'expulsion de mon corps hors de son ventre, de la dilatation jusqu'au point de rupture de ses pauvres huit centimètres de chair sous mes cinquante vagissant et rougeauds.
Puis j'ai grandi. Je n'allais plus déjeuner le dimanche. Je n'avais plus envie de récit, la réalité était nettement plus singulière. La réalité ressemblait à un morceau de viande crue attendrie par les coups. Après son divorce, ma mère a eu beaucoup d'amants.
Elle jouissait bruyamment, quel que soit le type, quel que soient les corps. Pendant l'amour, certains geignaient, d'autres grondaient, moi j'entendais toujours plus fort derrière le mur ses « DÉFONCE MOI LA CHATTE ! »
« Défonce moi la chatte ». Nous en avions une à l'époque. Une chatte blanche à poils longs. Nous l'avions appelé Crevure. Je ne me rappelle plus qui de maman ou moi avait choisi ce nom. Cela me faisait rire tout bas le soir, son cri d'amour qui devenait un appel au meurtre. Je caressais Crevure, serrais mes doigts contre son cou.
Parfois au lendemain de soirées particulièrement torrides, maman m'appelait au réveil. Elle était ces matins-là d'humeur tendre. Elle voulait un câlin, elle minaudait, elle essayait de me retenir tout contre elle dans le lit. Je sentais à travers le drap son corps collant. Cela me révulsait. Je disais « Maman, je n'ai plus cinq ans ». Elle riait, répétait que j'étais ce qu'elle avait de plus précieux au monde, qu'aucun homme jamais ne prendrait ma place, qu'aucun homme jamais ne la connaîtrait aussi bien que moi... Sûr qu'aucun homme n'était allé aussi loin dans son sexe que moi, ça oui je le savais. Devant mon air renfrogné, elle me demandait si je l'aimais. Je ne répondais pas. Pas parce que je ne l'aimais pas, mais à cause de l'odeur. Je retenais mon souffle, serrais les dents, cela sentait le foutre.
Imaginer son sexe. L'entendre prononcer ce mot. Le dire moi-même. Tout cela ne me faisait plus rien, qu'avais-je à craindre de deux syllabes ? Mais voir ou sentir son sexe, c'était autre chose. Passer devant la salle de bain, dont elle ne fermait jamais la porte, et la surprendre rasoir en main, dénuder son pubis, voilà qui soulevait le cœur. À chaque fois que cela se produisait évidemment, je claquais la porte. Elle la rouvrait aussi sec, plantait droit ses yeux dans mes yeux et me disait d'une voix sèche, que nous étions l'une à l'autre, que je n'avais pas être gênée, parce que son sexe je le connaissais bien, je m'y étais blottie, je l'avais malmené, qu'un jour ou l'autre, moi aussi on me fourragerait... Puis soudain elle rejetait la tête en arrière, le poids sur nos poitrines se relâchait, elle se mettait à rire. « Que tu es drôle avec ta mine défaite ».
À mes dépens ou pas, j'ai expérimenté le sexe comme une vaste plaisanterie. Ma mère m'a appris cela : rire, jouir, faire semblant. Ne pas pleurer. Il s'agit à mon tour de répéter les mêmes gestes, d'asséner les mêmes mots. La regarder vieillir. C'est moi qui aujourd'hui harassée, la rejoins au petit matin dans son lit. Je découvre sa nouvelle odeur, son corps fermé et affaibli. J'appuie fortement ma bouche maquillée contre les mèches blanches sur sa joue. Il n'y a rien d'autre à dire que maman en baisant ses lèvres ridées.
source urticalitblog.blogspot.fr
00:35 Publié dans l'oeil & la plume | Lien permanent | Commentaires (1)
Commentaires
ouiii, je l'avais lu, excellente Murièle !
Écrit par : Cathy | 15/03/2017
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